La plus grande erreur stratégique fut commise un certain 10 juillet 1985 par Roberto Goizueta, lorsqu’il annonça le changement de la formule 7X. Cela marquait l’arrêt du Coca-Cola tel que le monde le connaissait depuis près de 100 ans, remplacé par un New Coke dont le gout était plus… rond. L’Amérique connut alors un raz-de-marée sans précédent, hostile, violent et haineux. La compagnie enregistra plus de 8000 appels chaque jour, 40.000 lettres chaque mois… tous témoignant de leur amour pour l’ancien Coke et leur haine pour le nouveau. Les livreurs furent agressés et le New Coke déversé dans les égouts. L’association « Old Cola Drinkers of America » fut fondée et attaqua Coca-Cola Company pour la forcer à céder la formule originale, afin que d’autres puissent produire le fameux Coca-Cola. Un client acheta tout le stock de Coca-Cola auprès de l’embouteilleur d’Atlanta. Des voyages furent organisés en Europe (où le New Coke n’arriverait pas avant 2 ans) pour faire des provisions. Cette mobilisation unique au monde dura 3 mois.
Les meilleurs analystes prédisaient la mort de la compagnie, mais c’était sans compter sur sa capacité à rebondir. Roberto Goizueta annonça nationalement : « Nous vous avons entendu… », avouant sous la forme d’un mea culpa télévisé avoir sous-estimé l’attachement émotionnel et l’ancrage de Coca-Cola dans la culture américaine. La formule originelle de retour, les Américains se prirent de passion pour ce produit qui était le leur, explosant les ventes et accélérant l’hégémonie de la compagnie qui depuis bat tous les records : 2,8 milliards de bouteilles vendues chaque jour dans le monde, un chiffre d’affaires de 31 milliards de dollars, plus de 38 millions de fans sur Facebook, 94% de la population mondiale reconnait instantanément la marque et… Coca-Cola est le 2e mot le plus connu de la planète (le 1er étant « OK »).
Le retour fut si fort que certains virent dans cette erreur tactique, un coup de génie marketing. C’était toutefois bien une erreur. On prête souvent aux dirigeants et aux managers, une intelligence manipulatrice capable de prévoir jusqu’à 10 coups d’une partie d’échecs jouée à l’échelle d’une organisation. Ce ne sont pourtant que des hommes et des femmes, capables de faire des erreurs. Et je trouve ce côté humain franchement rassurant.